Jeux vidéo - l'enfance de l'art

Le MoMA de New York a fait l'acquisition de 14 jeux vidéo pour une nouvelle collection permanente dans son département design. Vingt-six autres suivront. Ils seront installés dans l'aile Design et Architecture du MoMa dans le cadre d'une exposition intitulée "Applied design" qui met à l'honneur "les nouvelles directions du design contemporain"
publié le 8 mars 2013 mis à jour le 4 juillet 2013
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Récemment, Captain Blood faisait son entrée au Centre Pompidou dans le cadre d'un festival consacré aux langages imaginaires.

Par la petite porte, le jeu vidéo s'introduit petit à petit dans le sérail des institutions culturelles, signe que celui-ci, après avoir vécu son âge d'or, affirme sa maturité aux yeux de tous.
Activités vidéos ludiques dans les centres culturels, conférences et débats traitant du jeu vidéo ou servant d'illustration au sein d'expositions, le jeu vidéo est déjà entré tout naturellement et tout en douceur dans son âge adulte.

Pour info, ce n'est tout de même pas une première : en 2011, le Grand Palais, à Paris, avait accueilli l’exposition “Game Story, une histoire du jeu vidéo”

LE CANCRE ENFIN ADOUBÉ

L'art, dans sa définition la plus large qui soit est le produit d'une activité humaine qui s'adresse aux sens, aux émotions et à l'intellect. C'est à ce titre que le jeu vidéo fait son entrée dans un musée qui n'est pas purement technique mais dont l'objet est la discipline artistique.
Seulement, pour être considéré comme œuvre d'art, le jeu vidéo (qui au passage ne demandait pas grand chose) a du passer son examen d'entrée.

Pour Marcel Mauss, le père de l'anthropologie française, « un objet d'art, par définition, est l'objet reconnu comme tel par un groupe. ». Longtemps dénigré, pointé du doigt par ses détracteurs, le jeu vidéo se faisait tout petit dans la cour de l'école.
Cancre qui ne pensait qu'à s'amuser, il n'avait personne pour le protéger. Adoubé aujourd'hui par le Musée d'art Moderne de New York, il reçoit aujourd'hui la caution des institutions et sa carte VIP sur laquelle figure : res-pec-table !

Les productions artistiques peuvent être appréciées diversement selon les cultures et les institutions.
Il y aura toujours des débats interminables autour de la définition de l'art et par la même occasion de la place du jeu vidéo.
C'est ce qui fonde depuis toujours la réflexion en esthétique : l'art naïf, l'art des fous, l'esthétique des objets manufacturés, le palais du facteur Cheval, un pylône électrique, tout à sa place au musée dès lors qu'on lui ouvre ses portes.

Le jeu vidéo aujourd'hui, c'est Coluche qui reçoit un prix d'interprétation aux Césars. Il est là, il est entré. Point final.

LA DEMARCHE DU MOMA

Mais quelle mouche a donc piqué Paola Antonelli, qui n'est pas une gameuse ni une otaku mais la conservatrice du prestigieux Moma ?

"On dit que le jeu vidéo n'est pas de l'art parce que c'est du divertissement, parce que c'est commercial, parce que ceci, parce que cela, mais l'opéra, n'est-ce pas du divertissement ? Et les tableaux, ce n'est pas commercial ?"

En effet, considéré longtemps comme le hobby d'inadaptés qui refusaient de grandir, il est aujourd'hui vu dans sa dimension artistique.
Celle-ci se mesure au degré de sophistication du comportement qu'il incite chez le joueur, au rôle de la musique, du temps, de l'espace et à son esthétique.

Lorsqu'il était jeune, il était déjà beau. Aujourd'hui qu'il a imprégné l'inconscient collectif du tout à chacun et qu'il bénéficie de ce recul et de cette réflexion nécessaire qui manque tant à ses détracteurs virulent, c'est dans le regard des artistes et des institutions que sa dimension esthétique s'affirme aujourd'hui.

Pourtant, signe de la prudence et de l'intelligence de Paola Antonelli, les jeux vidéo sont intégrés dans une exposition plus globale de design moderne appliqué, ce qui permet de couper court aux inévitables et interminables polémiques autour de la place du jeu vidéo dans l'art.

Les heureux sont très heureux, les mécontents sont rassurés et n'ont pas perdus tous leurs repères. Tout va bien !

LE JEU VIDEO, COMME UNE TOILE

Paola Antonelli explique que sa démarche implique l’acquisition globale de l’œuvre  – y compris du code. Et à ce titre, l’élégance du code est un critère d’éligibilité d’un jeu à l’exposition. 

"Nous avons choisi les chefs-d'œuvre du genre !"

Pac-Man, Tetris, Another World, Myst, SimCity 2000, vib-ribbon, The Sims, Katamari Damacy, EVE Online,  Dwarf Fortress, Portal, flOw, Passage, Canabalt... pour chacun d'eux, un écran placé dans le mur avec une description et parfois une visualisation du code source, pour en souligner l'«élégance».

Aux cotés des sculpteurs et des peintres viennent de s'installer les développeurs et level designers.

Un jour peut être, verrons-nous les critiques d'art et les universités traiter des nuances de rouges dans Mortal Kombat ou de la dimension picaresque des aventures de Link dans Zelda...
Peut être un jour verrons nous sur les jaquettes de nos jeux préférés les mention "ffff Télérama"...

Ce mouvement est en marche. Il portera des fruits attendus (la création d'un Musée du jeu vidéo en France n'est plus une utopie aujourd'hui et paraît plus défendable que jamais) et inattendus.

CONSERVER LE JEU VIDEO

Le MoMA entreprend aussi, avec cette collection, un travail de conservation à une époque où les supports deviennent vite obsolètes, démarche qui trouvera grâce aux yeux des rétrogamers et des associations "d'utilité publique" que nous connaissons bien (MO5.com, Abandonware-France.org, Musée du jeu vidéo...) 

Le jeu vidéo vient de trouver sa place grâce aux rétrogamers. Grâce à eux, le jeu vidéo est passé du simple divertissement à un pan de l'histoire de l'art. 

Amis rétrogamers, vous qui organisez des expositions, vous qui défendez le jeu vidéo en tant que produit culturel, c'est vous qui avez fait entrer le jeu vidéo dans ce musée. C'est donc vous qu'il convient de remercier.

Merci !

Photo : AFP PHOTO/EMMANUEL DUNAND /AFP

Page de l'exposition
http://www.moma.org/explore/inside_out/2012/11/29/video-games-14-in-the-collection-for-starters