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Dans une interview exceptionnelle accordée à la chaîne YouTube Génération Micros, Laurent Weill, figure emblématique de l'industrie vidéoludique française des années 80, revient sur l'aventure Loriciels et ses débuts dans la micro-informatique. Ce témoignage précieux dévoile les coulisses d'une époque où tout était à inventer dans le secteur naissant du jeu vidéo.
Des premiers microprocesseurs à la naissance d'un empire
Laurent Weill raconte avoir découvert l'informatique dès l'adolescence, "à une époque que les gens ne connaissent absolument plus où il y avait des microprocesseurs qu'on câblait sur des cartes". À 12-13 ans, il s'initie déjà à l'électronique et aux circuits TTL avant l'arrivée révolutionnaire des microprocesseurs. Avec des amis, il développe même un ordinateur basé sur le processeur 68000, prototype malheureusement rejeté par Thomson sous prétexte qu'"il n'y a pas de marché pour les 16 bits".
Cette passion précoce le conduit à monter avec un associé le magasin HX à Lyon, bien plus qu'un simple point de vente : "C'était vraiment ce que les américains appelaient les computers club". C'est dans cette dynamique qu'il découvre l'Oric, un micro-ordinateur britannique dont il obtient la distribution exclusive pour la France. Les files d'attente devant son magasin atteignent parfois 300 mètres, témoignant de l'engouement pour ces nouvelles machines.
L'aventure Loriciels : quand tout était à créer
En 1983, Laurent Weill et Marc Bayle fondent Loriciels (qui perdra son "s" final pour devenir Loriciel en 1990). Le nom lui-même naît du hasard : sa femme Isabelle, présente à l'INPI pour déposer la marque, propose "Loriciels" en référence aux logiciels, tous les autres noms choisis étant déjà pris. Philippe Seban rejoint rapidement l'aventure comme troisième associé.
Marc Bayle, ingénieur Arts et Métiers et Laurent Weill, diplômé d'une maîtrise en informatique, se rencontrent lors de leur service militaire. Durant cette période cruciale, ils programment déjà une dizaine de logiciels, posant les bases de leur future entreprise.
L'Aigle d'or : le titre qui change tout
Le succès de Loriciels s'articule autour d'un jeu emblématique : L'Aigle d'or, développé par Louis-Marie Rocques en 1984. Ce jeu d'aventure en 3D isométrique, où le joueur incarne un aventurier cherchant un aigle d'or dans un château, remporte le 1er Tilt d'or en 1985, catégorie « meilleur jeu d'aventure de l'année ». Cette récompense propulse l'éditeur sur le devant de la scène et ouvre de nombreuses portes à l'international.
Laurent Weill se souvient : "Dès le départ, on a vu une marque de fabrique qui était d'essayer de faire des choses originales, où on était attaché à ce qu'on a appelé à l'époque le wow factor". Cette philosophie se traduit par des jeux comme Sapiens, Billy la Banlieue ou encore West Phaser avec son pistolet optique révolutionnaire.
L'innovation au cœur de la stratégie
Loriciels se distingue par ses packaging innovants et ses partenariats audacieux. En 1988, 944 Turbo Cup est vendu avec une miniature Majorette de la voiture de course de René Metge, que Loriciels sponsorise. "On s'était mis à la fois sponsoriser la vraie voiture qui est exactement le modèle réduit", explique Laurent Weill, qui participe même à la course Aricana, équivalent du Paris-Dakar en motoneiges.
L'entreprise révolutionne également les techniques graphiques. Pour Bob Winner, les équipes développent un scanner artisanal en modifiant une imprimante : "Nos graphistes dessineraient des images plutôt que d'avoir les contraintes du pixel et ensuite on irait faire le scan". Cette innovation permet d'obtenir des graphismes d'une qualité inédite pour l'époque.
Une industrie en construction
Laurent Weill insiste sur l'aspect pionnier de cette époque : "C'est un métier qui n'existait pas. Il a fallu tout créer. Il a fallu définir quels étaient les prix des jeux vidéos, quels étaient les emballages des jeux vidéos". Les relations avec les auteurs se construisent de manière artisanale, souvent autour de passionnés qui développent seuls leurs projets.
Loriciel devient l'un des plus grands développeurs de jeux vidéo à partir de la sortie du jeu L'Aigle d'or, s'imposant comme un concurrent direct d'Infogrames, créé seulement quatre mois plus tard. L'ambiance reste néanmoins conviviale entre éditeurs, avec des matchs de football opposant éditeurs et journalistes, ou des sessions musicales dans les sous-sols d'Air Informatique.
Le déclin et les leçons apprises
Les difficultés arrivent au début des années 90. Loriciel a alors dû faire face à de nombreux problèmes financiers à partir de 1990, principalement liés à une dépendance excessive envers son distributeur Innelec. La décision de créer sa propre structure de distribution, Loridif, se révèle trop coûteuse et précipite la chute.
Les déboires avec des administrateurs judiciaires corrompus achèvent de compromettre l'avenir de l'entreprise. En 1992, Loriciel était acculé. La société luttait contre d'importants problèmes financiers, et elle a été mise en redressement. En 1994, Loriciel fait définitivement faillite, laissant derrière elle un catalogue de plus de 150 titres.
Renaissance avec AOZ Studio
Après Loriciel, Laurent Weill fonde Visiware en 1994, devenant leader mondial de la télévision interactive. Cette société développe des technologies de synchronisation télé-mobile et réalise plus de 3500 émissions interactives pour des clients prestigieux comme la NFL, Disney ou TF1.
Aujourd'hui, Laurent Weill préside AOZ Studio, société créée avec François Lionet, créateur des langages STOS et AMOS. AOZ Studio remet au goût du jour le langage BASIC grâce à sa fonction de « transpiler » : le langage BASIC d'AOZ est converti et publié en un clic en code Javascript. Cette société à mission vise à démocratiser la programmation et lutter contre la fracture numérique.
Laurent Weill conclut sur l'esprit de cette époque héroïque : "C'était une période qui était vraiment passionnante. Il y avait tout à inventer". Son témoignage illustre parfaitement l'effervescence créative des années 80, quand une poignée de passionnés posait les bases de l'industrie française du jeu vidéo.
Sources : Superpouvoir.com, Wikipédia, Abandonware France, EdTech Actu
Tags : Laurent Weill - Loriciels