Commodore, marque en guerre : qui détient réellement l'héritage du C64 ?

Le célèbre nom de Commodore, qui avait disparu après la faillite de l'entreprise en 1994, se retrouve au cœur d'une bataille juridique entre deux entités revendiquant chacune la légitimité de la marque. Commodore Industries, société italienne dirigée par Luigi Simonetti depuis 2017, a récemment pris des mesures pour empêcher Commodore International, la nouvelle entreprise de Christian Simpson, d'utiliser le nom mythique.
publié le 7 novembre 2025
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Christian Simpson, de YouTube au rachat de Commodore

Christian Simpson, connu sous le pseudonyme "Peri Fractic", anime depuis plusieurs années la chaîne YouTube Retro Recipes, spécialisée dans la technologie rétro et les réparations de Commodore 64. Ancien acteur ayant participé à plusieurs films Star Wars, cet Australien établi au Royaume-Uni a transformé sa passion pour l'informatique vintage en un projet commercial sans précédent. Pour financer l'acquisition, Simpson a hypothéqué sa maison et réuni des investisseurs providentiels, après sept mois de négociations intensives.

Sa vision pour Commodore dépasse la simple nostalgie. Simpson souhaite positionner la marque comme un acteur du "digital detox", proposant une alternative aux technologies modernes jugées toxiques et addictives. Il a également annoncé la création de Commodore Care, une organisation caritative destinée à répandre "l'étincelle de joie" auprès des enfants défavorisés, ainsi qu'un projet d'arcade Commodore au siège de Caudwell Children's au Royaume-Uni.

Le Commodore 64 Ultimate : premier produit officiel en 30 ans

Le premier fruit de cette renaissance s'appelle le Commodore 64 Ultimate. Loin d'être un simple émulateur, cet ordinateur utilise un circuit FPGA AMD Xilinx Artix-7 qui recrée le comportement du matériel original au niveau des circuits. Cette approche garantit une compatibilité de 99% avec les plus de 10 000 jeux, cartouches et périphériques des années 1980 et 1990, tout en intégrant des fonctionnalités modernes : sortie HDMI, ports USB-A et USB-C, connexion Wi-Fi et Ethernet, ainsi que 128 Mo de RAM contre 64 Ko pour l'original.

Trois versions sont proposées : la Basic Beige Edition à 299 dollars reproduit l'esthétique du modèle original, la Starlight Edition à 349 dollars arbore un boîtier transparent avec effets LED, et la Founders Edition limitée à 6 400 exemplaires à 499 dollars se pare d'un design doré inspiré de la Golden Anniversary Edition originale. Chaque machine inclut une clé USB contenant 50 jeux rétro, dont un nouveau chapitre de la série Jupiter Lander. Les circuits imprimés portent les noms gravés des développeurs originaux, un hommage touchant aux créateurs de la légende. La production, lancée à Shenzhen en Chine, a déjà généré plus de 2 millions de dollars lors de la première semaine de précommandes, avec plus de 10 000 unités vendues.

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Commodore Industries riposte

Mais Commodore Industries S.r.l., installée à Rome et Londres avec plus de 150 employés, conteste cette légitimité. Dans un communiqué publié sur son site officiel, Luigi Simonetti affirme que son entreprise détient légalement la marque historique "C= Flag COMMODORE" ainsi que plusieurs autres marques comme "COMMODORE ENGINEERING" et "COMMODORE SINAPSY". Ces enregistrements auraient été validés par les autorités compétentes en Italie et en Europe depuis 2019.

Selon Simonetti, les déclarations de Simpson "n'ont servi qu'à créer une confusion totale au sein de la communauté et à alimenter les controverses". L'entrepreneur italien souligne que son entreprise utilise légitimement la marque depuis plus de sept ans, produisant des ordinateurs portables, des tablettes, des écouteurs et des logiciels sous le label Commodore. Contrairement à Simpson, Commodore Industries n'a pas cherché à ressusciter les anciennes machines, mais s'est plutôt concentrée sur des produits modernes. L'entreprise s'implique néanmoins dans le jeu vidéo en développant de nouvelles versions de titres classiques comme The NewZealand Story de Taito et Xenon des Bitmap Brothers.

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Un écho du conflit Cloanto contre Hyperion

Cette bataille juridique rappelle étrangement les conflits sans fin qui ont opposé Cloanto Corporation et Hyperion Entertainment autour des droits sur l'Amiga. Depuis 2009, ces deux entités s'affrontent devant les tribunaux pour déterminer qui possède légitimement les marques et les droits d'exploitation d'AmigaOS. Cloanto, société italienne connue pour son logiciel d'émulation Amiga Forever, avait acquis en 2019 la majorité des droits Amiga auprès d'Amiga Inc., tandis qu'Hyperion revendiquait le droit exclusif de développer et distribuer AmigaOS 4 sur la base d'un accord de 2009.

Les litiges entre ces deux sociétés ont duré plus d'une décennie, portant sur des aspects aussi variés que l'utilisation du logo "Boing Ball", la marque "Workbench" ou encore les versions d'AmigaOS 3.x. En 2025, une cour d'appel américaine a finalement statué en faveur de Cloanto, établissant un précédent juridique important en matière de propriété intellectuelle. Ce conflit interminable, considéré par certains comme l'une des plus longues batailles juridiques de l'histoire informatique, a paralysé le développement de nouveaux produits Amiga, retardant notamment la sortie de The A1200 par Retro Games Ltd. Comme pour Commodore aujourd'hui, les véritables victimes de ces guerres de marques demeurent les passionnés, pris en otage entre des intérêts commerciaux contradictoires.

Une situation juridique complexe

La situation actuelle rappelle l'histoire tumultueuse de la marque depuis trois décennies. Après la faillite originale en 1994, les droits de Commodore ont été éparpillés entre plusieurs entreprises : Escom, Gateway 2000, puis Tulip Computers. Cette fragmentation a créé un vide juridique que plusieurs sociétés ont tenté d'exploiter.

Un document récent publié par Commodore Blog sur le réseau social X révèle que Commodore Industries a officiellement déposé une demande pour empêcher Commodore International d'utiliser le nom. La complexité de la propriété intellectuelle dans ce dossier signifie que le conflit pourrait s'éterniser, même si Leonard Tramiel, fils du fondateur original Jack Tramiel, a publié une lettre de soutien à l'initiative de Simpson.

L’initiative de relance portée récemment par Christian “Peri Fractic” Simpson met en lumière le paradoxe fondamental qui entoure la marque Commodore depuis sa disparition initiale. En effet, tenter de refonder une identité cohérente autour d’un nom aussi éclaté juridiquement n’est pas seulement risqué?: c’est l’expression d’un volontarisme face à trente ans de batailles de droits et d’usages contestés, où la passion individuelle se heurte inévitablement à la réalité des tribunaux et des intérêts divergents. C’est d’ailleurs pour cela que ce genre de projet n’a jamais trouvé preneur jusqu’ici?: la complexité des licences, l’incertitude des statuts et l’empilement d’antécédents laissaient peu d’espoir à une initiative durable et paisible.

Sauf retournement inattendu, il semble donc inévitable que l’avenir réservé à cette «?renaissance?» soit jalonné de procédures et de demandes de soutien financier, où chaque avancée commerciale risque de rallumer les conflits latents. L’histoire de Commodore, et plus largement de l’informatique rétro, rappelle ainsi que la nostalgie a ses limites dès lors qu’elle se heurte à l’inertie et aux conflits du réel.

Pour les nostalgiques du Commodore 64 qui suivent ces développements, cette bataille juridique rappelle que l'héritage du célèbre ordinateur reste profondément ancré dans la culture retrogaming, comme en témoigne le numéro spécial du magazine Retro Gamer célébrant les 40 ans de l'Amiga ou encore le documentaire sur l'histoire de l'Amiga 500. Mais pour l'instant, l'avenir de la marque reste incertain, pris entre deux visions antagonistes de ce que devrait représenter Commodore en 2025.

Sources : Time Extension, Commodore Industries, HotHardware, PC Gamer, Generation Amiga

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