Jen-Christophe K : Audric, merci de répondre à nos questions. Avant d’évoquer ton livre, j’aimerais que l’on parle un peu de toi, car la transmission et la médiation numérique te sont chevillées au corps ? De quoi s’agit-il ?
Audric : Salut Jean-Christophe et merci pour l’invitation sur Rom-Game ! Alors la médiation numérique, c’est un terme dans lequel on peut ranger pas mal de choses. La « médiation » c’est le fait de faire le lien entre deux individus avec souvent pour objectif de résoudre un problème, un conflit.
Eh bien dans le numérique, c'est pareil, sauf que le conflit est entre l’homme et la machine. L’idée, c'est de faire du lien et d’accompagner les individus à la prise en main des outils numériques. On peut donc ranger dans ce terme tout ce qui est cours d’informatique par exemple.
Mais j’y vois aussi l’opportunité pour sensibiliser les personnes que j’accompagne sur les enjeux du numérique. Qu'est-ce qu'un algorithme, pourquoi il est important de protéger ses données personnelles, comment et pourquoi apprendre le code, etc. Pleins de sujet qui se mélangent et qui me passionnent. Alors si en plus je peux ajouter par-dessus une dose de fabrication, de DIY, je suis ravi !
JCK : Dès le début de ton ouvrage, une première surprise pour moi et sûrement pour un grand nombre de nos lecteurs, c'est que le hack et la bidouille, en bon français, ne date pas d’hier ! C’est même l’origine du jeu vidéo ?
Audric : Effectivement ! Si on considère que le premier jeu vidéo est Tennis For Two, conçu en 1958 par le physicien William Higinbotham, alors le jeu vient bien du hack et du détournement d’objet.
Le fait d’utiliser un oscilloscope et un ordinateur dédié au calcul de trajectoire de missiles, pour en fait un jeu de tennis, c’est complètement l’esprit hacker. Et ce qui est assez drôle, c’est que Higinbotham ne s’intéressait pas à tout ça, et qu’il a juste voulu créer un dispositif un peu fun dans le cadre des portes ouvertes de son laboratoire.
À cette époque, on n’a pas du tout vu le potentiel ludique et commercial d’une telle invention, et il a fallu attendre que d’autres inventeurs - tel que Ralph Baer - commencent à développer des choses de leur côté pour qu’on réalise qu’une industrie pouvait naître de ces expérimentations.
JCK : Dans ton ouvrage tu détailles de manière très précise les deux aspects de la construction d’une console open source avec d’un côté la partie logiciel/OS et de l’autre la construction physique à proprement parler ! Les deux sont accessibles au quidam moyen (que je suis^^) ? Même la conception de son propre jeu ?
Audric : L’un des objectifs de mon livre est justement de rendre la construction et la programmation un peu plus accessibles. J’ai commencé un peu par hasard à me plonger dans le monde de la fabrication numérique.
La première fois que j’ai dû réparer ma Master System, j’ai cherché sur internet et j’ai trouvé des tutoriels. J’ai commencé à faire de la soudure comme ça. J’ai ensuite travaillé dans un FabLab (lieu de fabrication numérique) dans lequel on va trouver plein de machines, telles que les imprimantes 3D, les découpeuses laser, ainsi que des cartes de programmations (Arduino notamment) ou des nano-ordinateurs (Raspberry Pi).
En plus des machines et des outils, on trouve sur place une communauté, des gens prêts à nous apprendre à manipuler tout ça et à nous accompagner sur des projets. Les premières consoles open source sont nées dans ce type de lieux et ont donc été pensées pour être assemblées par monsieur et madame Tout-le-monde. Et il n’y a pas d’âge pour apprendre.
Pour la partie construction physique, il faut « juste » savoir souder avec un minimum de précision. On peut bien sûr apprendre à reconnaître les différents composants, essayer de calculer la puissance des résistances, mais on peut suivre le tutoriel sans trop se poser de questions. J’ai vu des enfants de 8 ans assembler presque tous seuls ce type de machine.
Pour la partie programmation, c’est effectivement un peu plus compliqué ! Là encore, on peut juste recopier les lignes de code sans comprendre, mais les quelques explications que je donne peuvent aider à saisir la logique de programmation.
Mais je suis moi-même très mauvais en code, et ce livre ne remplacera pas un cours particulier ou un livre dédié à l’apprentissage de la programmation. Mon travail était de digérer des informations et d’essayer de les rendre compréhensibles au plus grand nombre.
JCK : Dans open source il y a open, ouverture, et tu parles dans ton ouvrage de la communauté des makers et des FabLab dont l’ouverture est le principe de base ? En termes de jeux vidéo cette ouverture est parfois relative en termes de droits et de licences, comment gérer cet aspect ?
Audric : Le monde du jeu vidéo que l’on connaît (je pense surtout au triple A) est effectivement assez fermé et relativement opposé au monde de l’open source. Les éditeurs et développeurs ne partagent que rarement les éléments présents dans un jeu, et on peut le comprendre, le modèle économique fonctionne comme ça.
Par contre, il a toujours existé des personnes qui faisaient les choses à l’envers, qui partageait le code source, qui mettaient à disposition des éditeurs de niveaux, des ressources permettant aux joueurs d’aller plus loin et de créer leurs propres univers.
La communauté des moddeurs existe depuis presque l’origine du jeu vidéo, mais il fallait avoir un minimum de connaissance pour comprendre et détricoter les éléments qui constituent un jeu. Progressivement, des outils dédiés ont été créés, et d’autres communautés sont arrivées.
Le monde du Homebrew est un peu dans cette veine : des passionnés qui créent des jeux, parfois à partir d’éléments existants, parfois en détournant un jeu ou en réalisant un clone, et qui partagent - souvent gratuitement - leurs créations.
Là encore, pour coder un jeu sur Atari ou Mega Drive, il faut des connaissances solides (même si de plus en plus de logiciel, je pense à NesMaker, permettent de s’essayer à la conception de jeux). L’open source va encore plus loin, car tout est disponible, que ce soit le logiciel ou les jeux et programmes développés.
On peut avoir accès à « la recette de cuisine » d’un jeu, on va pouvoir le modifier assez facilement et partager ensuite sa propre version. C’est dans l’ADN de l’open source et du logiciel libre, on peut utiliser des ressources et à notre tour on va mettre nos créations dans un pot commun pour que d’autres puissent s’en emparer. C’est l’inverse du copyright et de la notion de brevet.
JCK : Un peu de prospective pour terminer notre échange, entre d’un côté la conservation patrimoniale et de l’autre l’ouverture des consoles « Open source » comment imagines-tu l’évolution de ce pan du jeu vidéo ?
Audric : Le monde de l’open source reste assez fragile, car tout le monde n’a pas compris le principe de cette philosophie. Si on se sert sans jamais à notre tour contribuer, la ressource va disparaître.
C’est le principe de la gestion d’un commun. Et cela s’applique aussi bien à l’aspect logiciel qu’au côté matériel. En ce moment par exemple, on parle de pénurie de composants électroniques et les consoles next-gen sont encore peu nombreuses sur le marché. Les consoles open source n’ont pas besoin d’autant de composants, et d’éléments très puissants.
Il est vrai que les jeux qui tournent dessus sont proche de ce qu’on pouvait avoir sur 8 bit, mais il ne s’agit pas d’une course à la nouvelle technologie. Il y a même l’effet inverse, avec un côté low-tech. Bien sûr, cela ne va pas parler à tout le monde et je comprends qu’on ait envie de jouer à un super jeu en 4k sur une grosse télé. Mais trop peu de monde a conscience qu’il existe une autre façon de jouer et de concevoir le jeu vidéo.
C’est aussi pour cette raison que j’ai fait ce livre. J’avais envie de montrer qu’il est possible de faire les choses autrement. Donc j’espère que le monde des consoles open source va continuer ! De nouveaux projets sortent régulièrement et il y aura toujours des personnes pour bricoler des trucs avec deux bouts de ficelles et un vieil écran de téléphone portable.
Merci Audric !
Merci pour toutes ces questions, et au plaisir de bidouiller ensemble !
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Collection : Tous makers !, Dunod (19€00 / 13€99 au format numérique) : acheter l'ouvrage
Parution : septembre 2020 / Audric Gueidan
Depuis quelques années, les grands éditeurs de jeux vidéo ont vu leur monopole perturbé par l'arrivée de trublions issus du milieu open source, désireux de rendre accessibles au plus grand nombre les arcanes vidéoludiques. Retrogaming, consoles à monter soi-même, outils permettant de programmer ses propres jeux… nul besoin d’être un petit génie du code pour rejoindre le mouvement !
Accessible à tous, ce guide pratique présente les principales consoles open source disponibles et explique, sous forme de tutoriels illustrés pas-à -pas, comment :
- monter une console en kit ;
- construire une véritable borne de jeux d’arcade ;
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