Episode III - Lankhor.net : les jeux et la signature Lankhor

Réaliser un site web dédié à l’éditeur Lankhor n’est pas anodin. Revenons sur les spécificités de ce studio français de jeux-vidéo, avec Frédéric LETELLIER, webmaster de Lankhor.net depuis une vingtaine d’années.
publié le 1er janvier 2021
partager sur :

Crois-tu que Lankhor avait un esprit et un savoir-faire particulier dans la conception de jeux-vidéo ?

Oui, je trouve et cela se ressent particulièrement bien sur les jeux d’enquêtes et éducatifs. Lankhor faisait ses jeux sans chercher à copier ce qui se faisait chez les autres éditeurs. Ils avaient donc un côté un peu unique.

Si on prend l’exemple du jeu Black Sect, son style était très différent de celui des jeux de référence en matière d’aventure (jeux Sierra ou Lucas Film). Après l’échec commercial de Black Sect, Lankhor avait disparu plusieurs années avant de revenir en tant que développeur. Comme Lankhor dépendait d’un éditeur, ils avaient moins de liberté sur la réalisation des jeux et je trouve que le style particulier de Lankhor était moins visible.

A ses débuts, Lankhor était coutumier d’annoncer des dates fictives de sorties qui n’étaient jamais respectées, pourquoi selon toi ?

Je ne pense pas qu’il y ait eu une volonté de tromper le public. A mon avis, le problème était plutôt qu’ils étaient trop optimistes. Les méthodes de réalisation des jeux-vidéo étaient moins professionnelles et l’évaluation du temps nécessaire pour terminer le jeu était plus compliquée.

De nos jours, la réalisation d’un jeu-vidéo s’est modernisée avec un planning à suivre. J’ai l’impression qu’aujourd’hui les dates de sorties sont mieux respectées mais que certains jeux, sans avoir été totalement terminés, reçoivent régulièrement des patchs correctifs. J’ai aussi le sentiment que les jeux qui débarquaient dans les années 80/90 avaient moins de bugs que ceux d’aujourd’hui.

Constates-tu une différence entre l’époque Lankhor et aujourd’hui ?

En l’espace de 30 ans, il y a eu d’énormes évolutions. Tout d’abord les ordinateurs d’aujourd’hui sont beaucoup plus puissants que dans le temps. L’autre grande évolution est l’Internet haut débit. Cela fait que les jeux d’aujourd’hui sont dématérialisés. Cela permet aussi aux développeurs de pouvoir se passer d’un éditeur en passant directement par des plateformes (Epic, Steam, GOG, etc.).

As-tu des anecdotes à nous révéler sur la fameuse synthèse vocale de Lankhor qui était apparue dans le Manoir de Mortevielle ?

Non, il faudrait plutôt poser la question aux Langlois.

Une gameuse devant le puits du Manoir de Mortevielle (Savoie Retro Games 2017)

Avec sa synthèse vocale et d’autres atouts, Mortville Manor (Le Manoir de Mortevielle en français) était considéré comme un tournant dans le jeux-vidéo d’aventure lors de sa sortie. Avec le recul qu’en penses-tu ? Est-ce que cela a été vraiment le cas ?

Pour moi qui ne possédait pas de carte son, la synthèse vocale de Lankhor a été un choc. Les voix ajoutaient un aspect sympa au jeu mais je ne pense pas qu’on puisse qualifier cela de tournant dans le jeu-vidéo. Avant le Manoir, j’avais également joué au jeu Magnetic Tank qui avait une sorte de synthèse vocale mais de moins bonne qualité.

Pour parler de tournant, j’estime qu’il faut que de nombreux autres jeux aient repris la même mécanique. Dans le cas présent, cela n’a pas été le cas. Je pense que le problème de la synthèse vocale était sa difficulté à mettre en œuvre et qu’en plus la qualité était inférieure à celle d’une vraie voix humaine. Le problème a été résolu avec la sortie du CD-ROM car il était possible d’utiliser des enregistrements audio ce qui rendait ainsi inutile la synthèse vocale.

Plus de 30 ans après son apparition, on constate que le concept de synthèse vocale est toujours présent dans notre vie digitale. Lankhor pouvait révolutionner durablement le jeu-vidéo, pourquoi ce concept n’a-t-il pas été licencié à d’autres studio ?

Oui, la synthèse vocale est aujourd’hui beaucoup plus présente dans nos vies (GPS, assistants vocaux, etc.). De nos jours, quand un studio développe une nouvelle technologie (un moteur 3D par exemple), il est fréquent de licencier cette technologie. Lankhor aurait pu essayer de documenter sa technologie de synthèse vocale et de vendre une licence mais je suppose que ce n’était pas dans la culture de l’entreprise.

As-tu un avis sur les micro-ordinateurs grands publics de la grande époque comme l’Amstrad CPC, l’Atari ST ou le Commodore Amiga ?

Je ne me sens pas assez connaisseur pour donner mon avis sur ces machines.

Chez les anglo-saxons, la qualité des produits Lankhor semblait sous-estimée. La presse vidéo ludique française était-elle chauvine ?

Il me semble que plusieurs jeux Lankhor (notamment les jeux d’aventure sur CPC) sont sortis exclusivement en français, ils ont donc probablement été commercialisés exclusivement en France.

Le jeu Manoir de Mortevielle ne ressemble pas aux autres jeux et il se peut que les testeurs n’aient rien compris. Les testeurs français ont peut-être eu un contact avec Lankhor, ce qui a permis d’avoir des explications permettant de comprendre le jeu et de l’apprécier.

Lankhor semble avoir conservé un noyau dur de fans (toi le premier probablement) mais reste aujourd’hui un peu oublié des médias, as-tu une explication à cela ?

Ça va faire 20 ans que Lankhor a fermé et c’est ce qui explique qu’on en parle moins. Cependant, régulièrement, je vois des choses en lien avec Lankhor. Pour prendre un exemple, Télérama a tout récemment sorti un article avec une illustration du Manoir de Mortevielle.

https://www.telerama.fr "Le jeu vidéo français a été marqué à ses débuts par la littérature" par Julien Foussereau. Publié le 27/07/20 https://www.telerama.fr/ecrans/le-jeu-video-francais-a-ete-marque-a-ses-debuts-par-la-litterature-6666480.php

Depuis toutes ces années, on a entendu parler de beaucoup de suites ou de remakes avortés, pourquoi selon toi ?

Je confirme que j’ai vu beaucoup de remakes démarrer, et pour l’instant, aucun n’a encore abouti. Je pense que les gens ne réalisent pas forcément que faire un jeu nécessite beaucoup de temps. De plus même si Lankhor n’existe plus, le jeu appartient encore à ses créateurs et ils ont leur mot à dire. J’espère que le remake de Maupiti Island ira à son terme car il semble intéressant.

Certains jeux Lankhor ont été beaucoup piratés à l’époque et ainsi distribués librement. Que penses-tu de ces pratiques et des conséquences ?

Je n’ai pas connaissance d’estimations pour le piratage des jeux Lankhor. J’ignore si ce taux de piratage était équivalent à celui des autres éditeurs. Que ce soient les jeux Lankhor (ou les jeux des autres éditeurs), ils étaient équipés d’un dispositif anti-copie mais les pirates parvenaient toujours à le contourner.

Concernant l’impact financier, c’est très dur à estimer. Celui qui pirate le jeu, cela fait bien évidemment perdre une vente. Si la société Lankhor mettait des systèmes anti-copies sur ses jeux, c’est qu’elle devait considérer que le piratage était néfaste pour ses ventes.

Un ancien de Lankhor (David ALLOZA) m’avait confié que Troubadours sur Atari ne se serait vendu officiellement qu’à un seul exemplaire. Confirmes-tu l’information ?

Je n’ai aucune idée du nombre de ventes de ce jeu. Si c’est vrai, je trouverais cela dommage car j’ai trouvé que c’était un jeu relativement sympathique avec de bonnes musiques.

L'aventure médiévale éducative Troubadours sur Atari (Retro Game Alpes 2017)

On en fait beaucoup sur le jeu Sukiya (la suite de Maupiti Island) qui n’a jamais été terminé. As-tu un avis sur la question ?

Je trouve que c’est dommage car le jeu était relativement avancé quand il a été arrêté. Lankhor n’avait pas les moyens de développer ce jeu en parallèle de Black Sect, il avait donc été mis un peu de côté. Le fait que les ventes de Black Sect aient été mauvaises, cela a mis en difficulté financière la société Lankhor qui n’a pas pu terminer Sukiya.

Selon toi, pourquoi Lankhor n’a pas survécu ? Pourquoi la société n’a-t-elle jamais été rachetée ?

Je pense que Lankhor manquait de licence suffisamment forte pour être rattachée. Lankhor était une petite société avec une trésorerie réduite et l’échec commercial de Black Sect lui a été fatal.

J’ai pu lire sur ton site que le jeu d’enquête Black Sect était plutôt facile ? Pour toi c’est quoi un jeu difficile ?

Le plus dur pour moi, c’étaient les anciens jeux Sierra où on pouvait régulièrement mourir. Il fallait également taper toutes les commandes en anglais et on pouvait se retrouver bloqué à la fin du jeu si on avait oublié une action quelque part. Certains jeux français pouvaient être difficiles. J’ai par exemple souvenir d’un jeu où je bloquais car je n’arrivais pas à insérer une carte et je n’avais pas pensé à utiliser l’action « enficher ».

Comment vois-tu la stratégie qu’avait pris Lankhor de développer des jeux sur consoles (Megadrive ou Playstation) ?

Les jeux de course sont bien adaptés aux consoles et il me semble donc logique de la part de Lankhor d’avoir voulu porter certains de ses titres sur console.

La course de Formule1 Vroom sur Atari ST (Retro Game Alpes 2017)

Je ne suis pas sûr que le Manoir ait livré tous ses secrets, le crois-tu aussi ?

Il se peut toujours qu’il reste quelque chose à découvrir mais je n’en ai pas la certitude. Actuellement, avec les informations en notre possession, nous pouvons obtenir un score de 100%.

Le Manoir de Mortevielle sur un Atari 1040 STF et un écran SM124 monochrome (Savoie Retro Games 2017)

Sais-tu ce que devient Jérôme Lange ?

A la fin de Maupiti Island, il part au Japon à Sukiya où il devra résoudre une nouvelle enquête. J’ignore si ce troisième épisode était censé mettre un terme à la saga ou s’il était envisagé d’éventuellement poursuivre les aventures. En supposant que le remake de Maupiti Island trouve son public, il se peut que l’équipe se lance dans sa suite et que l’on sache enfin comment se terminent ses aventures.

(A suivre…)

Série d'interviews réalisée par Yvan DOYEUX pour ROM GAME (Eté 2020)
https://www.lankhor.net

Merci à Frédéric LETELLIER pour le temps consacré à cette série d'interviews. Photos publiées avec l'aimable autorisation de Frédéric LETELLIER et Yvan DOYEUX